Transfert d'entreprise : 6 mauvaises excuses pour retarder la relève

La toute première étape pour réussir la relève d'une entreprise, c'est de chasser le pessimisme et les idées reçues.

Philip Blouin Par Philip Blouin Suivez-le sur LinkedIn Éric Drolet et Éric Drolet Suivez-le sur LinkedIn


Ce n'est pas d'hier que les Fonds régionaux de solidarité FTQ participent à des transferts d'entreprise partout au Québec. Que la relève soit familiale, interne ou externe, voici quelques mythes souvent observés par Éric Drolet, directeur investissement pour Québec et Chaudière-Appalaches, et Philip Blouin, directeur investissement pour la Côte-Nord.  

 1. Ce n'est pas le bon moment  

Le pire moment pour transférer une entreprise, c'est quand son propriétaire principal n'a plus le choix en raison de l'âge ou de la maladie. Mieux vaut s'y prendre bien avant cela. 

Tout d'abord, en identifiant des repreneurs. « Parmi les candidats possibles, il y a les gestionnaires d'expérience de l'entreprise. Ils sont bien placés pour savoir quelles améliorations apporter, et parce qu'ils ont des points de vue différents de celui du fondateur, ils peuvent insuffler un vent de renouveau », illustre Éric Drolet.  

Il ne faut pas hésiter à se montrer opportuniste si une bonne occasion se présente. « Il y a tout le temps des changements dans le marché. Par exemple, la pandémie a généré de grandes réussites d'affaires, notamment dans le secteur des produits récréatifs et équipements de plein air. Certaines de nos entreprises partenaires ont vu leurs ventes exploser au cours de la dernière année », témoigne Philip Blouin.  « L’arrivée d’un nouvel employé peut aussi être l’élément déclencheur du processus de relève. Cela arrive plus souvent qu'on le pense ! ».   

 2. C'est compliqué   

La douceur d'un transfert d'entreprise est directement proportionnelle à son degré de préparation. Celle-ci consiste en somme à créer des conditions de départ favorables aux repreneurs.  

Mais encore faut-il que trois ingrédients soient réunis : une bonne entreprise, un bon vendeur, un bon repreneur. « Quand on a les trois, on a le départ d'un dossier solide », affirme Philip Blouin.

La planification peut impliquer des comptables, spécialistes en rachats d'entreprise, fiscalistes, évaluateurs et autres experts qui connaissent tous les leviers à actionner pour réussir la relève. Tous, sauf un. 

« C'est le facteur humain qui pèse le plus au bout du compte », dit Éric Drolet. « À quel type d'individu souhaite-t-on confier son entreprise ? Est-on prêt à céder à des concurrents ? Est-ce qu'on tient à ce que le siège social demeure au Québec ? Veut-on assurer la sécurité des emplois en échange d'un prix moindre ? Ce sont toutes des questions subjectives, qui peuvent l'emporter sur les aspects financiers. »   

 3. Le fondateur ne veut rien savoir

D'un côté comme de l'autre, il ne faut pas avoir peur d'aborder le sujet, sous peine de laisser passer une belle occasion.  

Éric Drolet prend l'exemple de RMH Industries - Placage au Chrome de Sainte-Foy, qui a récemment connu son second transfert avec le soutien du Fonds régional de solidarité FTQ. Il y a quelques années, lorsqu'un groupe de gestionnaires souhaitait proposer un premier transfert des mains du fondateur, celui-ci était si impliqué dans l'entreprise qu'ils n'osaient pas évoquer son départ devant lui.  

« Quand ils se sont finalement donné le courage de lui parler, non seulement le vendeur a accepté mais il a fait une excellente affaire », raconte M. Drolet. « Dans la phase de rachat actuel, les repreneurs incluent une nouvelle génération de gestionnaires très talentueux qui veulent saisir l'occasion de pousser RMH encore plus loin », croit-il.    

 4. Le repreneur n'est pas un leader  

Pas le choix : prendre la tête d'une entreprise nécessite du leadership, c'est-à-dire savoir superviser et déléguer, être capable d'exprimer une vision stratégique claire, s'impliquer au quotidien, et ne pas avoir peur de la compétition et de la pression, entre autres forces. Mais tout cela peut se développer avec le temps, dans le cadre de la planification d'un transfert.  

Philip Blouin donne l'exemple récent d'Atelier de réparation Laforge, un concessionnaire de véhicules récréatifs à Sept-Îles. Trois employés de moins de 30 ans souhaitaient le reprendre aux deux fondateurs, mari et femme.  

« Ils sont jeunes mais m'ont impressionné tout de suite par leur niveau de préparation. Cela faisait des années que les propriétaires les épaulaient dans leur développement. Ils leur avaient tout montré, du meilleur comme du pire : comment bien embaucher, mais aussi comment bien licencier. Ils les ont habitués à fonctionner en comité, etc. Au bout du compte, l'entreprise n'en avait que plus de valeur. Pour nous, c'étaient des partenaires idéaux et nous n'avons pas hésité à les financer », dit Philip Blouin. 

5. Le repreneur vient d'un autre secteur d'activités  

 Le leadership transcende les industries, mais jusqu'à un certain point. Quiconque veut reprendre une affaire dans un autre secteur devrait en étudier soigneusement les rouages afin de comprendre les enjeux, d'assurer la confiance des employés, et aussi pour vérifier son intérêt. Cela peut se faire par exemple durant un séjour exploratoire dans l'entreprise aux côtés du vendeur. 

« Une entreprise ne s'achète pas comme un simple placement, mais comme un projet dans lequel on va être appelé à s'engager au quotidien. Ça demande des connaissances et de l'expérience, en s'entourant des bonnes personnes au besoin, et surtout il faut être sûr d'en avoir vraiment le goût ! », dit Philip Blouin. 

6. Personne ne voudra financer  

 Pas besoin d'être millionnaire pour acheter une entreprise au Québec : plusieurs institutions se font concurrence pour apporter du financement, dont les Fonds régionaux de solidarité FTQ.  

« Les repreneurs craignent parfois de ne pas réunir les sommes nécessaires à une mise de fonds. Mais en réalité, il y a toujours de l'argent pour eux dans le marché », dit Philip Blouin.

Puisqu'il y a le choix, autant en profiter pour diversifier les sources de financement. Par exemple, les transferts financés par les Fonds régionaux de solidarité FTQ le sont souvent en complémentarité avec des institutions financières traditionnelles. Le repreneur peut ainsi combiner sa propre mise de fonds, un prêt bancaire, et un prêt non garanti sans caution de son Fonds régional.  

« Nous ne nous appuyons pas sur des actifs tangibles, mais sur la qualité du projet. Dans ce sens, nous avons tout intérêt à aider l'entreprise à réussir, créer de la richesse, et avoir l'impact social qui est au cœur de notre mission », explique Éric Drolet.  

« Comme quand on achète une auto, il doit y avoir de l'essence dans le réservoir ! Il faut une structure financière solide avec des liquidités suffisantes pour que les nouveaux propriétaires se mettent rapidement en selle, évitent de trop s'endetter, et soient prêts au pire scénario le cas échéant », conseille Philip Blouin.