Proximité à distance : l'art du réseautage version 20.21
Dans le monde des affaires d'antan, le réseautage se faisait dans des salles de congrès, lors de repas et 5 à 7, de parties de golf, de spectacles, et toutes sortes d’événements sociaux. Puis tout a basculé dans le 100 % numérique – avec à la clé des gains d’efficacité inattendus.
Selon une étude McKinsey (version anglaise), l’explosion des ventes en ligne depuis le début de la pandémie provient autant des consommateurs que des entreprises ; deux tiers d’entre elles (66 %) jugent les interactions numériques plus importantes que la vente traditionnelle, contre seulement 48 % l’an dernier. Pas le choix : désormais, le réseautage et le développement d'affaires doivent passer par la technologie, et même ceux qui trainaient de la patte ont dû presser le pas.
Amélie Dugas-Sampara et Youssef Lemgendez en savent quelque chose. Directeurs des investissements au Fonds de solidarité FTQ, ils étaient continuellement en déplacement pour créer des liens avec les acteurs de leurs secteurs respectifs, rencontrer des entrepreneurs à la recherche de financement, et s'occuper de leurs investissements en siégeant par exemple sur des conseils d’administration. Forcés de se mettre au 100 % virtuel depuis mars 2020, ils y ont finalement trouvé des bénéfices et garderont certaines de leurs nouvelles habitudes à l’avenir, coronavirus ou non. Voici leurs principaux constats :
1. Réseauter est encore plus important qu’avant
Heureusement que la COVID-19 a débarqué dans l’ère de l’Internet à haute vitesse : tous les outils sont réunis pour nouer des relations d’affaires à distance. Le hic, c’est que des concurrents du monde entier y ont accès tout aussi facilement. Une fois confinés derrière nos écrans, on perd l’avantage de la proximité physique, et la concurrence monte d’un cran.
« Les entrepreneurs québécois ont désormais plus facilement accès à des investisseurs qu’ils soient à Montréal, à New York ou à Londres », dit Youssef. « Notre proximité, notre adaptativité, notre expertise financière, notre réseau de Fonds régionaux rendent notre offre très spécifique, mais cela ne nous dispense pas de nous montrer compétitifs. Nous devons toujours être là, au bon endroit, au bon moment. Il est d’autant plus important de faire valoir nos atouts distinctifs par rapport à notre compétition. »
Les outils de réseautage en ligne étaient déjà utiles auparavant, mais désormais ils prennent une place prépondérante. « Dans notre milieu, tout le monde utilise LinkedIn, mais nous sommes aussi à l’affût des événements virtuels », dit Amélie. « Ça va des grandes conférences d’affaires de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain à des regroupements sectoriels plus spécialisés ici et ailleurs, par exemple en sciences de la vie, en génie, ou en services financiers. »
2. LinkedIn soigne la timidité
Le virtuel fait tomber les barrières physiques, mais aussi psychologiques, car il est beaucoup moins gênant de pointer son nez devant un inconnu dans un média social que dans un centre de congrès.
« Même si je m’efforçais de me faire présenter par une tierce personne lors des événements, j’appréhendais toujours ce premier contact. Une fois que j’ai appliqué la même technique à LinkedIn, c’est devenu beaucoup plus facile », témoigne Youssef.
Il faut dire que l’absence de distraction, à part d’éventuelles intrusions d’enfants ou d’animaux, encourage les participants à se concentrer sur le contenu des discussions.
« Ces plateformes permettent de bien choisir à qui on veut parler, et de réduire énormément les inefficacités comme les déplacements, les retards et même le placotage (small talk) », dit Amélie. « Au bout du compte, je développe davantage de contacts dans les événements depuis qu’ils sont virtuels ! Je remarque que les gens sont nettement plus disponibles. »
3. Le bonheur est dans la pertinence
Le web regorge de conseils pour réussir ses rencontres en ligne avec la configuration audiovisuelle idéale et les comportements gagnants (numéro un : sourire). Mais le plus important reste encore d’apporter une valeur ajoutée à ses interlocuteurs.
« Le réseautage, ce n’est pas de la publicité. On ne peut se distinguer qu’en donnant aux gens quelque chose de pertinent pour eux », résume Youssef.
En un an de pandémie, il a eu le temps de peaufiner sa technique : s'informer sur les sujets d'intérêt des individus qu'il souhaite rencontrer, publier des contenus qui pourraient les intéresser, puis entrer progressivement en interaction avec eux, idéalement par l'entremise d'un contact commun. À ce moment, il est équipé pour leur offrir de la valeur.
« Bâtir sa crédibilité est un processus de longue haleine ; il faut bien s’éduquer sur les enjeux du secteur et les occasions pour le Fonds d'avoir un réel impact. En partageant des contenus pertinents dans LinkedIn, ciblés sur des champs d’intérêt bien spécifiques à l’entrepreneur que je souhaite rencontrer, j'aurai plus de chances d’obtenir 30-45 minutes avec lui. Il faut prendre le temps de gagner la confiance des gens », dit Youssef.
Amélie recommande en outre de porter attention aux activités de la personne et de son organisation, à ses préoccupations et à ses ambitions. Il est peut-être opportun de la féliciter par exemple pour un accomplissement, pour établir d’emblée une proximité et une « chaleur humaine », dit-elle.
4. L’efficacité est là pour rester
Dans l'expérience de nos experts, un rendez-vous virtuel peut être obtenu plus rapidement qu'une rencontre physique dont la logistique pouvait prendre plusieurs mois auparavant. Et ils apprécient la possibilité offerte par certaines plates-formes de pouvoir discuter en privé avec une personne pour ensuite revenir à la plénière, ou encore consulter les profils des participants pour les contacter ultérieurement, et autres fonctionnalités qui aboutissent sur un réseautage plus efficace que jamais.
« Ce contexte m'a permis d'organiser des rendez-vous de 30 minutes avec des PDG que je n'arrivais à rencontrer auparavant que dans des groupes élargis, souvent lors de soirées bruyantes », se réjouit Amélie.
« On entendait souvent dire que le contact virtuel manque de chaleur, qu’il n’y avait rien de mieux que les rencontres en personne. Mais je crois que le mythe est tombé », renchérit Youssef. « J’ai assisté à un événement ce matin où des dirigeants disaient que le numérique leur permettait de mieux personnaliser leur offre, et c’est cela qui séduit la clientèle d’affaires de nos jours. »
Alors va-t-on rester devant nos écrans une fois la COVID-19 partie ? Amélie croit qu’une bonne part du réseautage va rester virtuel : « Je crois que notre travail va devenir hybride. On va apprécier de se voir en personne car c’est un besoin humain d’être social, mais tout ce qui peut être fait efficacement à distance va le rester. On a fait nos preuves et on est plus à l’aise avec le virtuel. Et puis, c'est dans la nature des entrepreneurs d'optimiser leur temps et leur énergie ! »
« Le présentiel ne pourra pas revenir à 100 % », opine Youssef. « On va sûrement moins participer aux grands événements, souvent lointains, où des milliers de personnes se côtoient, car la pandémie nous a appris à développer efficacement nos relations d’affaires à distance. Cependant, on aura toujours besoin de rencontrer physiquement les entrepreneurs dans leur environnement de travail. Outre le démarchage, le travail d’un investisseur implique d'évaluer tous les aspects de l’entreprise candidate au financement, la visite des bureaux ou usines en fait partie. »
Pandémie ou pas, les deux s'entendent pour rappeler qu'une prise de contact réussie n'est qu'un début ; elle n'aboutira sur une relation d'affaires florissante que si on se montre attentif et généreux avec l'autre. Être à l'écoute, rester facilement accessible, être structuré dans son approche, partager des références de son réseau de contact, sont autant d'aptitudes qui ne se mesurent pas mais qui font toute la différence.