BALADO « En mode affaires », Ép. 04 - Une autonomie alimentaire durable au Québec, c'est possible ?

L'autonomie alimentaire du Québec est souhaitable sur les plans économique, social et environnemental, à condition qu'elle puisse être transmise aux générations futures, expliquent deux experts du Fonds de solidarité FTQ.

Seule un peu plus d'une moitié de l'assiette du Québécois moyen est de production locale, selon une étude du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec. Il y a donc une vaste marge de manœuvre pour accroître la part de production, de transformation et de distribution gérée localement. La bonne nouvelle : ce n'est pas la volonté qui manque.

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« Avec les perturbations causées par la pandémie dans les chaînes d'approvisionnement internationales, on a assisté à quelque chose d'inédit : un éveil simultané des consommateurs, de l'industrie agroalimentaire, et des gouvernements », dit Benoit Tétrault, directeur des investissements, Placements privés et investissements d'impact au Fonds de solidarité FTQ, spécialisé dans l'agroalimentaire et santé.

« Désormais, l'autonomie alimentaire ne répond plus seulement à un besoin économique ou patriotique, pour créer de la valeur ajoutée et assurer des emplois, mais elle vient aussi satisfaire un désir grandissant de proximité avec les commerçants et producteurs, tout en réduisant l'empreinte environnementale du secteur. »

Certains sont déjà bien avancés dans le projet; M. Tétrault cite OlymelAttention, ce lien ouvrira un nouvel onglet., le géant du secteur porcin, qui contrôle localement toutes les étapes de sa chaîne de valeur, de la génétique à la distribution de produits ici et à l'étranger (le Fonds est partenaire d'Olymel par l'entremise de Sollio Groupe CoopératifAttention, ce lien ouvrira un nouvel onglet.). Mais dans bien d'autres secteurs, il reste du chemin à faire.

Quelques idées pour commencer

Alors par où commencer ? Tout d'abord, en construisant davantage de serres de fruits et légumes.

« Le Québec est encore sous-représenté dans les serres, avec seulement 6 % de la production canadienne. Qu'il s'agisse de tomates, de laitues, de concombres, de poivrons, nous pouvons réduire nos importations des autres provinces, des États-Unis et du Mexique en investissant davantage dans nos infrastructures de serres », indique Nathalie Bilodeau, conseillère principale en marketing, analyse de marché et intelligence d'affaires au Fonds.

C'est ce qu'ont commencé à faire des investisseurs comme le Fonds, en contribuant par exemple à la construction par Productions Horticoles Demers Attention, ce lien ouvrira un nouvel onglet.d'une des plus grandes serres au Québec. À la fine pointe de la technologie, ces installations situées à Lévis rendront l'entreprise partenaire du Fonds compétitive face aux concurrents internationaux et lui permettront de doubler sa production annuelle.

Des entreprises d'ici visent en outre à mettre au point des serres verticales, idéales en milieu urbain. Elles ont une faible empreinte carbone, nécessitent peu de fertilisants, recyclent leur eau, occasionnent moins d'émissions, et requièrent moins de main-d'œuvre que les champs – sans parler de la traçabilité optimale de cette production locale.

Le Québec est aussi reconnu pour la grande qualité de son soya. Le Fonds vient de clôturer un nouvel investissement dans CerescoAttention, ce lien ouvrira un nouvel onglet., qui se spécialise dans la commercialisation et l'exportation du soya sans organismes génétiquement modifiés (OGM) et à identité préservée (IP), ce qui se traduit par un contrôle rigoureux et une traçabilité complète garantissant ainsi la pureté variétale et la qualité de la semence. Cet investissement contribuera à assurer une chaîne d'approvisionnement locale à cette protéine végétale.

« Une autre avenue serait de transformer davantage les grains et les oléagineux que l'on cultive au Québec. À l'heure actuelle, on en exporte beaucoup sans y apporter de transformation à haut niveau, puis on les réimporte au sein de produits transformés ailleurs. Certaines entreprises commencent à pousser la transformation locale », indique Nathalie Bilodeau.

Elle souligne au passage deux entreprises financées dans le grand réseau du Fonds, au moyen des Fonds régionaux de solidarité FTQ et des Fonds locaux : Soya ExcelAttention, ce lien ouvrira un nouvel onglet., de Saint-Charles-sur-Richelieu, qui fabrique de l'huile pour consommation animale à partir de soya bio d'ici, permettant la production locale de viande bio; ou encore la marque d'aliments santé Fourmi BioniqueAttention, ce lien ouvrira un nouvel onglet. qui s'approvisionne le plus possible chez des producteurs québécois d'ingrédients naturels, bios et équitables.

« On pourrait pousser la logique en profitant de l'engouement des consommateurs pour les protéines végétales, en développant leur transformation. De plus en plus d'entreprises font leur entrée dans ce secteur », poursuit-elle.

Du côté des protéines animales, le secteur de l'aquaculture présente beaucoup d'occasions d'autonomisation; pas forcément dans les zones côtières, mais sur sol dans des bassins optimisés pour un produit de qualité à faible coût. M. Tétrault mentionne par exemple le saumon (Atlantique, Pacifique ou Coho), qui est encore trop importé; ou l'omble chevalier qui est encore majoritairement issu de la pêche.

« Outre sa contribution à l'autonomie alimentaire du Québec, le développement de l'aquaculture pourrait lutter contre la surpêche, qui est un problème grandissant sur nos côtes. De plus en plus d'espèces sont à risque », dit-il.

C'est là l'un des critères fondamentaux d'une autonomie réussie : elle doit s'aligner sur des principes de développement durable.

Durabilité et compétitivité : deux défis indissociables

« Produire sans importation, c'est une chose. Mais il faut le faire sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leur tour aux mêmes besoins. Cela passe par la préservation des sols, du climat et de la biodiversité, et une migration vers la carboneutralité », explique Nathalie Bilodeau.

Bien sûr, le défi consiste à faire tous ces efforts tout en minimisant l'impact sur les prix pour les consommateurs – sans quoi leur adhésion à l'autonomie est moins enthousiaste.

« Il faut garder à l'esprit que les ménages québécois ont des moyens limités. Or notre industrie est en concurrence contre des multinationales aux moyens énormes; pour assurer la compétitivité des produits locaux sur les tablettes, il nous faut accélérer l'adoption des technologies », indique l'experte.

Numérisation, automatisation, robotisation sont autant d'expertises que le Québec Inc. possède localement et peuvent relever le double défi de la durabilité et de la compétitivité, croit-elle.

« C'est nécessaire non seulement pour améliorer la performance, la constance et la qualité, mais aussi pour pallier la pénurie de main-d'œuvre qui est très forte dans le secteur. »

C'est là un aspect cher au Fonds, qui investit l'épargne des travailleurs d'ici : toute transition technologique doit être « juste », c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des impacts socio-économiques, préserver les emplois, favoriser le développement professionnel, ou en d'autres termes, mettre l'humain au cœur de la démarche.

La traçabilité comme conséquence positive

Un autre avantage des technologies est d'ouvrir la voie à un degré de traçabilité jamais vu, souligne pour sa part Benoit Tétrault.

« Lors de la fameuse crise de la vache folle en 2002, quand tous les marchés se sont fermés à cause d'un cas dans l'Ouest canadien. Cela a motivé l'industrie à optimiser la traçabilité dans la production animale, de la génétique à la distribution », se souvient-il.

Actif dans l'agroalimentaire québécois depuis 1985, le Fonds est en position avantageuse pour repérer les tendances tant dans l'industrie que parmi les consommateurs. Or la plus marquée chez ces derniers est justement l'exigence de traçabilité.

« Aujourd'hui, les gens veulent savoir d'où viennent les produits, comment ils sont faits, quels sont les ingrédients. Ils vont être de mieux en mieux outillés pour consulter ces informations au moment de l'achat, sur leur appareil mobile par exemple, et si elles ne conviennent pas à leurs critères, par exemple en matière de développement durable et de carboneutralité, ça peut devenir une barrière à l'entrée pour des producteurs », explique M. Tétrault.

C'est dans cette optique que le Fonds tient à accompagner et conseiller ses entreprises partenaires dans leur adoption des technologies, au-delà des investissements financiers. Il met notamment à leur disposition le Groupe Asthuce, composé d'experts multisectoriels qui proposent des recommandations stratégiques et opérationnelles aux entrepreneurs qui n'ont ni le temps, ni les moyens de se faire une tête par eux-mêmes sur des défis d'une telle envergure.

À mesure que le Fonds et d'autres institutions poussent en faveur de l'autonomie durable, cet objectif devient plus en plus réaliste, croit Mme Bilodeau.

« Nous avons d'ores et déjà un tissu agroalimentaire très diversifié et en bonne santé, qui a non seulement la capacité de créer des filières alimentaires autonomes et carboneutres, mais aussi de viser la croissance d'exportation durable. »

 

En collaboration avec journaldemontreal.com